Les sanctuaires paléochrétiens

Cette étude est la suite naturelle de celle du numéro précédent (1) . En effet dans ce dernier il a été traité de tous les édifices religieux connus aujourd’hui. Mais un vide reste, celui de l’antiquité et du haut moyen-âge. Car il ne reste aucuns vestiges découverts à ce jour à Barrettali.
Les premières traces de construction d’églises en Corse remonteraient au 4ème siècle de notre ère (2). A cette époque les évêchés s’implantèrent dans les  » cités  » romaines qui existaient en Corse. On pense que leur nombre était supérieur aux cinq ou six qui subsistèrent au moyen-âge. Dans la Corse rurale, chaque vallée ou  » pieve  » (3) eut une église destinée à baptiser les populations de ces territoires côtiers et de l’intérieur. C’est ainsi que naquirent les premières églises dites piévanes ou  » piévanies « , qualifiées parfois de  » chiese matrici « . Elles étaient regroupées sous la juridiction des évêchés et se situaient en général dans le centre administratif de la vallée, le  » pagus  » romain. La « pieve » religieuse correspondait à une circonscription administrative qui devint le canton. En 1530 (4) il y avait 66 « pievi », les « pievi » paléochrétiennes auraient été plus nombreuses (5). Pour le Cap en particulier, chaque micro-vallée a pu être une « pieve » primitive.

En effet le Cap a toujours eu une activité économique importante qui doit remonter à l’antiquité. Chaque marine devait être une escale et un centre commercial entre la vallée et le continent proche. A cause de cette activité, on peut concevoir que chaque micro vallée ait pu être aussi peuplée, qu’une vallée plus grande en superficie du reste de la Corse. La densité de l’habitat du Cap au cours des âges pourrait en apporter la preuve. Deux autres éléments confirmeraient la thèse d’une « pieve » par vallée cap corsine : d’une part la plupart des communes ont un nom que ne portent aucuns des villages qui la constituent, et ce nom pourrait être celui de l’ancienne « pieve » ; d’autre part, presque toutes les communes possèdent un couvent; et l’on sait qu’il y avait un couvent par piève en Corse.
Pour en revenir à Barrettali, même si des chapelles comme San Matteo ou San Martino (7) sont certainement très anciennes, en l’absence de vestiges parlants ou de documents d’archives, on ne peut affirmer qu’elles datent du paléochrétien ou du haut moyen âge.
Dans la commune, deux habitats seraient d’origine romaine, ou du moins auraient existé à cette époque: ce sont les villages de Conchiglio et Minerbio. Pour ce dernier, la légende (8) parle d’un temple qui aurait été élevé en l’honneur de la déesse Minerve, à l’emplacement de l’église actuelle de Ste Catherine. Cette dernière a remplacé une ancienne chapelle en 1875. Il est fort probable que s’il y a eu un temple païen, l’Eglise ait pu construire une chapelle sur le même emplacement (9).

En ce qui concerne Conchiglio et plus particulièrement le hameau de l’Annonciade, on peut supposer qu’il y avait là la petite agglomération du temps de Rome. En effet l’actuelle église paroissiale de Conchiglio, située dans ce hameau, est l’ancienne chapelle agrandie du couvent de servites, construite vers 1570 et aujourd’hui en ruines. Le couvent et sa chapelle ont été construits sur le site ou à proximité de l’ancienne église « SSa Annonziata « , mentionnée en 1210 sur un inventaire des biens en Corse, appartenant aux Bénédictins de la Gorgona ; l’enclos et les parcelles au nord de l’église portent le nom de  » Cappella « . Non loin de là un lieu-dit  » Annunziata  » jouxte un ancien cimetière. Un site proche appelé  » Croce « , pourrait être le lieu primitif du sanctuaire paléochrétien. Ce dernier lieu domine la marine de Giottani (certainement fréquentée dans l’antiquité), comme à Minervio, il y a là une ancienne aire et un calvaire. Tout près, des chapelles funéraires longent l’ancien chemin marine-montagne près de l’embranchement du sentier muletier menant à Canari, la commune voisine ; ce carrefour étant à l’origine du nom de  » Croce  » donné à ce lieu-dit. Sur ce chemin bordé de tombeaux et passant par le couvent, il y avait l’ancienne chapelle de San Antonio. Le petit cimetière actuel se trouve près de l’emplacement de cette chapelle. Tous ces éléments font penser à un site possible d’une piévanie paléochrétienne. Si cela était le cas nous aurions eu avec le temps déplacement de l’édifice primitif du sud-ouest vers le nord-est, en partant du lieudit  » Croce « , passant par le lieu-dit  » Annonziata « , pour aboutir au site actuel de l’église paroissiale de l’ancien couvent. Le premier emplacement étant un lieu dominant, situé sur des rochers, les autres perdent peu à peu cette fonction, pour se rapprocher des belles terres du plateau de Conchiglio.

N’oublions pas que cette terre de Conchiglio à été revendiquée et acquise en 1269 par l’évêque de Nebbio, qui porta par la suite le titre de Comte de Conchiglio (10). J’ai parlé de San Matteo dont seul le toponyme a subsisté. Cette chapelle située probablement sur l’ancien chemin marine-montagne (Giottani Pinzu a Verghjine) vers Luri et non loin de l’ancien village de Balsce (11) abandonné au 16ème ou 17ème a pu être romane, préromane ou plus ancienne encore.

San Martino, sous le village de Mascaracce, était, d’après les pierres de remploi retrouvées sur les lieux, une chapelle romane ou préromane.

Il reste enfin les deux églises de St Pantaléon et de Sta Maria (actuelle confrérie de Ste Croix), voisines l’une de l’autre et séparées par l’antique  » Arca « . Ces deux édifices seraient également très anciens.

Si Barrettali a été « pieve », on peut supposer que la piévanie primitive était située à Conchiglio, plus précisément au hameau de l’Annonciade. Il n’est pas impossible que par la suite ce fut San Martino, San Pantaléon, ou Sta Maria qui devint piévanie médiévale (12).
Rappelons tout de même que depuis l’époque pisane ou la fin du moyen-âge (sans pouvoir le préciser), Barrettali dépend de la piève de Canari. L’église Sta Maria Assunta a pu être piévanie paléochrétienne, même si elle a pu être située plus près de la mer à l’origine. Contrairement à la plupart des communes du Cap, Canari ne forme pas une vallée, mais un plateau en pente douce suffisamment important et riche pour avoir pu abriter et nourrir une communauté importante dans l’antiquité et au moyen-âge ; le site proche de  » Cannelate « , mentionné par Ptolémée, pourrait le confirmer. Néanmoins, l’existence d’une « pieve » primitive à Canari, n’enlève pas la possibilité d’une autre « pieve » antique à Conchiglio pour Barrettali. C’est sans doute au moyen-âge, lors de la Renaissance de l’Eglise en Corse avec Pise, ou peu après, qu’un regroupement des pièves religieuses a pu se faire. C’est alors que certaines piévanies primitives disparurent.

En résumé, si l’on n’a aucune preuves de l’existence de sanctuaires paléochrétiens à Barrettali, on peut tout de même supposer qu’il y ait eu à cette époque une piévanie à Conchiglio et peut-être trois ou quatre chapelles primitives ou  » monachie  » comme on les appelait alors. Il y en aurait eu une à Minerbio (13) , et les autres à Barrettali même, c’est à dire San Matteo. San Pantaleone, Sta Maria et San Martino, l’une des trois dernières ayant pu être la piévanie médiévale.

1 Cf:  » A Cronica  » n°1O

2 Suite à l’Edit de Milan en 313, de l’empereur Constantin

3 Subdivision territoriale qui aurait existé avant l’arrivée de l’église, d’après le  » Dizzionario di Toponomastica « , qui donne pour la « pieve » l’origine suivante :  » Distritto rurale, corrispondente alle antichi circoscrizioni italiche pagane « …

4 Cf:  » Description de la Corse  » de Mgr Giustiniani

5 Mme Moracchini Mazel en a recensé 120 à ce jour

6 C’est le cas de 21 ou 22 communes sur 24 que compte le Cap géographique (incluant les pièves de Lota et Patrimonio). Il n’y en a que 20 pour tout le reste de la Corse ( 15 en Hte Corse et 5 en Corse du Sud)

7 Cf:  » A Cronica  » n°10 p2

8 Cf:  » A Cronica  » n° 5 p22, Minervio serait le seul toponyme en Corse relatif à la déesse antique 9 Au bas du village, le lieu-dit  » Aghja Vecchja « , situé sur un promontoire dominant la mer, près du chemin descendant à la marine de « Salaghja » et marqué par un calvaire, semblerait plus propice à l’implantation d’un temple consacré à Minerve et par la suite à un sanctuaire paléochrétien. Le monte Minerbio, couronné par le  » Castrum Minerbii  » médiéval, a pu être également un site probable pour le temple de la déesse.

10 Cf:  » A Cronica » n°3 p20. On ne connaît pas les raisons de la revendication d’Arrigo, évêque de Nebbio, en 1269, mais si Guglielmino da Mare, seigneur de Pino et de Barrettali, a été contraint de faire cette donation, c’est probablement que cette enclave de Conchiglio a dû appartenir à l’Église autrefois, ou du moins que cette dernière avait certains droits sur ce territoire. L’appartenance de la SSma Annonziata aux Chartreux de la Gorgona en 1210 n’est peut-être pas étrangère à cette revendication

11 Cf:  » A Cronica  » n°10 p2

12 Lorsque l’on parlait de propriétés de l’église de Barrettali on les disait appartenir à San Martino et San Pantaléon. San Martino cité en premier n’indiquerait-il pas une prééminence sur St Pantaléon.

13 Ste Catherine ou la chapelle qui a pu succéder au temple s’il a existé. Une autre ancienne chapelle San Antonio sur l’ancien chemin de Pino à Barrettali près de Minervio et non loin de l’embranchement du chemin de l’ancien village de Ficaghjola, a pu être une  » monachia « 

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